Nouvel ouvrage dans la Gallusothèque : « Papillon » d’Henri Charrière.

Cet OVNI littéraire (pourrait-on parler d’OLNI ?) a fait controverse à sa sortie en 1969. Parce que son auteur, Henri Charrière, n’aurait pas raconté toute la vérité, et rien que la vérité… Mais qu’importe ? Quand on sait qu’il a été condamné à tort en 1931 par la justice française, transporté au bagne en Guyane en 1933, et qu’il finit par réussir à s’en évader au début des années 40 après plusieurs tentatives et plus d’une décennie d’aventures, on peut éventuellement lui pardonner d’avoir romancé certaines parties de sa vie de prisonnier en cavale, non ?

Soyons sincères, la plume d’Henri Charrière n’est pas des plus fines ni des plus exquises. Elle va droit au but, ne fait jamais de détours et est plutôt rugueuse. Mais ce qu’elle raconte est tellement extraordinaire, y compris dans son aspect documentaire, qu’on reste les yeux rivés sur les pages qui défilent les unes après les autres. On apprend à découvrir le système du bagne français, considéré par beaucoup de pays, à l’époque, comme inhumain, avec notamment la réclusion cellulaire sur l’île Saint-Joseph, où Papillon a passé deux ans sans possibilité de parler ou de voir la lumière du jour, et on reste pantois face à tant d’horreurs… Comment est-il possible que le pays des Droits de l’Homme et du Citoyen ait entretenu un tel régime pénitentiaire jusqu’au milieu du XXème siècle (les derniers prisonniers n’en ont été libérés qu’en 1953) ?

Au-delà de cette ignominie, ce récit nous confronte à l’humanité des personnes croisées sur la route des cavales de Papillon, aussi bien britanniques que vénézuéliennes, colombiennes, amérindiennes, etc., et c’est de cette humanité que naît la beauté de l’oeuvre. Malgré sa condition d’évadé, son aspect souvent pitoyable après plusieurs jours de mer et / ou de malnutrition, sur sa route, Papillon va découvrir la gentillesse, l’empathie, presque le pardon ! bref, tout ce que la France lui a refusé. Oui, ce beau et grand pays « civilisé », fier de son Histoire et de ses valeurs…

Et au bout du chemin le menant à sa propre rédemption, Henri Charrière, dit « Papillon », conclut magistralement, en évoquant « ces pêcheurs presque illettrés du golfe de Paria [séparant l’île de Trinité du Vénézuela], au bord du monde, perdus dans cet immense estuaire de l’Orénoque », qu’ils « ont une philosophie d’humanisme qui manque à beaucoup de nos compatriotes. Trop de progrès mécaniques, une vie agitée, une société qui n’a qu’un idéal : de nouvelles inventions mécaniques, une vie toujours plus facile et meilleure. Déguster les découvertes de la science comme on lèche un sorbet entraîne la soif d’un confort meilleur et la lutte constante pour y arriver. Tout cela tue l’âme, la commisération, la compréhension, la noblesse. On n’a pas le temps de s’occuper des autres, encore bien moins des repris de justice. »

Il n’y a plus qu’à remplacer le mot mécanique par numérique, et cette magnifique tirade reste d’une grande et triste actualité…

Comme les autres ouvrages présents dans la Gallusothèque, celui-ci est disponible en prêt sur simple demande de votre part ! Car c’est en lisant qu’on sera les mieux armés face à ça !