Nouvel ouvrage dans la Gallusothèque : « Maurice Bishop speaks ».
Qui saurait situer l’île de Grenade sur une carte ? Qui a déjà tout simplement entendu parler de l’île de Grenade ? Pas grand monde… Alors espérer que la personnalité et le parcours de Maurice Bishop soient un minimum connus relèverait de la naïveté ! Et pourtant, il fait certainement partie des meilleurs dirigeants que le XXème siècle ait vu naître dans ses entrailles.

Pour pallier ce qui nous paraît être une énorme lacune, nous mettons à votre disposition un ouvrage publié par la maison d’édition Pathfinder Press, proposant l’ensemble de ses discours et entretiens, une introduction avec mise en contexte, un livret de photographies, ainsi qu’une carte pour mieux appréhender ce qu’est ce pays.
L’île de Grenade se trouve dans les Caraïbes, c’est-à-dire dans ce que les États-Unis considèrent comme leur arrière-cour, et compte à peine plus de 100 000 habitants. Avant 1979, elle a été gouvernée par Éric Gairy, dictateur en cheville avec la mafia et les autorités états-uniennes, qui avait hérité de ce pays après l’indépendance de 1974. Fomentant l’assassinat de ses opposants, ceux-ci décident de prendre les devants et déclenchent un coup d’État victorieux en 1979, sans qu’une goutte de sang ne soit versée.
Maurice Bishop devient alors Premier Ministre et lance des réformes sociales de grande envergure : alphabétisation de la population (50% d’illettrés à son arrivée au pouvoir) ; formation de professionnels de santé et construction des infrastructures nécessaires (une seule clinique dentaire et un hôpital délabré en activité en 1979) avec l’aide de Cuba qui y enverra beaucoup de médecins ; programmes d’études supérieures et école gratuite pour la jeunesse ; mise en place de prêts accessibles pour les propriétaires devant rénover leur résidence principale, mais aussi pour les agriculteurs avec pour objectif de favoriser les cultures vivrières ; construction d’un aéroport international (là encore avec l’aide de volontaires cubains) pour faciliter et encourager le tourisme ; campagne de sensibilisation à la cause féministe pour que les femmes aient les mêmes droits et salaires que les hommes ; distribution de lait aux mères d’enfants en bas âge ; etc.
Bien évidemment, les États-Unis observent ces événements d’un très mauvais oeil et dénoncent une dictature communiste. Pendant quatre ans, ils ne cesseront de faire pression pour que les pays voisins, et même certains pays européens, n’aident en aucune manière le gouvernement de Maurice Bishop, et bloqueront tout prêt pouvant provenir du Fonds Monétaire International ou de la Banque Mondiale. Ils refuseront toutes les aides demandées, à moins que Grenade accepte de stopper sans délai toute relation avec l’île de Cuba, la grosse épine dans le pied du colosse états-unien. Ils dénonceront aussi l’abolition par Maurice Bishop de la « liberté » de la presse grenadienne, abolition leur interdisant de financer, avec des budgets démentiels qui auraient grandement aidé la population insulaire à améliorer ses conditions de vie, des journaux proférant mensonges sur mensonges à propos de la révolution en cours.
Qu’est-ce qui déplaît tant à la première puissance économique et militaire du monde ? Que Grenade, cette ancienne colonie britannique, soit majoritairement peuplée de Noirs anglophones, descendants d’esclaves. Au contraire de celle de Cuba, cette population parle la même langue que les minorités états-uniennes souhaitant s’émanciper et s’affirmer, et ces dernières peuvent s’identifier aisément aux Grenadiens et Grenadiennes. D’ailleurs, Maurice Bishop ne s’est pas privé de s’adresser directement à elles, notamment le 5 juin 1983 à l’occasion d’un voyage à New York.
La tragédie va d’abord se jouer en interne, et Bishop va se faire assassiner le 19 octobre 1983, avec cinq autres membres de son parti politique, par Bernard Coard et ses partisans, eux-même membres du gouvernement et du parti au pouvoir, pour cause de désaccords profonds sur la suite à donner à la révolution. Pour faire simple, Coard souhaitait reprendre la main sur l’appareil étatique, que Bishop avait ouvert le plus largement possible à l’ensemble de la population. Certains historiens ont qualifié ce coup d’État de « stalinien ».
Six jours plus tard, les États-Unis, aux aguets et préparés depuis longtemps, profitent de ce moment de flottement et d’incertitude, et envahissent l’île avec 7000 soldats, et mettent un terme définitif à cette révolution sociale, extrêmement populaire dans la population insulaire.
Pas d’inquiétude, connaître le dénouement n’empêche en rien, bien au contraire, d’apprécier la lecture de cet ouvrage, qui se lit comme un bon roman policier, dont on sait d’avance que la fin sera tragique…
Attention, ce livre est en anglais.