Une belle personne nous a quittés.
Le 21 janvier 2022, Bouba Touré nous a quittés, et c’est un énorme vide qui remplit son absence… Nous ne l’avons pas côtoyé longtemps, car nous ne l’avons rencontré qu’en 2018, mais ces quelques trop courtes années nous ont laissé entrevoir la beauté de son engagement, de son parcours de vie.
Français avant d’être Malien (il est né dans l’ancienne colonie française avant l’indépendance), il émigre dans l’Hexagone à l’âge de 17 ans dans le but de gagner suffisamment d’argent pour pouvoir en envoyer à sa famille. Ne pouvant que constater l’inégalité de traitement qui lui est infligée du fait de sa couleur de peau, de son accent (certainement à couper au couteau puisqu’il apprend le français après son arrivée en suivant des cours du soir), et les conditions de vie en foyer peu propices à une vie saine et équilibrée ; se laissant gagner par les idées qui caractériseront le mouvement ouvrier de Mai 68 ; il se forme auprès de paysans français, avec treize acolytes, et retourne régulièrement dans son pays natal pour y développer un projet de coopérative agricole qui voit le jour en 1976, et qui sera baptisé Somankidi Coura (littéralement « le Nouveau Baobab »).
Cette coopérative agricole existe encore aujourd’hui, et permet à un village de six cents habitants de vivre dignement en auto-suffisance alimentaire.
Cette aventure magnifique, il n’aura eu de cesse d’en parler autour de lui, d’en témoigner au travers de ses photos, qu’il aura exposées sur tous les continents ou presque. Puis il aura aussi témoigné de la condition d’immigré en France dans les années 60, au travers d’un très beau livre, qui a d’ailleurs intégré notre Gallusothèque en 2019, Notre case est à Saint-Denis 93, publié par les Xérographes, une maison d’édition associative située dans le 18ème arrondissement, quartier qu’affectionnait particulièrement Bouba même s’il avait élu domicile à Pantin.
Il était séducteur, charmeur, et même coquet, à tel point qu’il nous avait affirmé être né en 1948. Quelle surprise fut la nôtre quand, en lâchant une poignée de terre sur son cercueil, nous y lûmes, en résumé de son passage dans ce monde, « 1942-2022 »… Après une vie bien remplie, il a tiré sa révérence à presque 80 ans, et nous pouvons nous consoler en nous disant que, si nous l’avons rencontré en 2018 alors qu’il avait tout juste 70 ans, nous ne l’avons pas côtoyé pendant quatre ans seulement, mais pendant presqu’une décennie ! Les moments passés en sa compagnie ont été en tous cas suffisamment riches pour nous laisser des souvenirs denses et précieux, pouvant remplir sans problème une décennie entière par la matière philosophique et humaine qu’ils nous ont procurés.
Bouba est mort, mais Bouba vit. Son héritage est grandiose, bien que peu connu, et pas assez reconnu. Si cette société ne l’a pas loué à sa juste valeur, c’est bien la preuve qu’elle ne tourne pas rond. Il ne s’en plaignait jamais, cultivait un rire communicatif et utilisait et défendait avec coeur ce qu’il appelait sa « langue coloniale ».
Nous avons eu la chance d’en garder une trace sonore en enregistrant le premier opus de notre émision Supercitoyen, le pouvoir est entre tes mains en sa compagnie. Une heure à ses côtés, belle et émouvante – peut-être maladroite par moments en ce qui nous concerne -, qui vaut bien six années oubliées, masquées par pudeur ou coquetterie, qui pouvaient nous laisser espérer plus de temps à ses côtés…