Nouvel ouvrage dans la Gallusothèque : « La révolution russe » de Marcel Liebman.

Il y a des pépites qu’on trouve par hasard dans notre bibliothèque, qui traînent là depuis des années sous nos yeux, mais qu’on ne se résout pas à ouvrir et à lire. La révolution russe – origines, étapes et signification de la victoire bolchevique en fait indéniablement partie. Sa première de couverture n’est pas très attirante : une photo montrant, tant bien que mal, l’assaut du Palais d’Hiver, à Pétrograd, le 25 octobre 1917, et colorisée avec du rouge-sang, ce qui lui donne un aspect austère et peu engageant.

Mais il faut passer outre cette première mauvaise impression, et se plonger dans cet essai historique passionnant, qui relate, semaine après semaine, l’année 1917 russe, ponctuée par deux révolutions survenues à huit mois d’intervalle, et entrecoupées de soubresauts divers et variés. Bien entendu, l’auteur, Marcel Liebman, prend soin de planter le décors et de placer cette année décisive dans un contexte historique plus global, en expliquant le pourquoi et le comment de la fin du tsarisme.

Depuis notre plus tendre enfance, il n’est pas rare d’entendre dire que le communisme a été un échec, d’un point de vue historique, en appuyant cette affirmation sur le quart de siècle qu’a duré le règne dictatorial de Staline et sur le démentèlement de l’URSS survenu presque quarante ans plus tard. Sauf qu’associer le communisme à l’État totalitaire créé par Staline, et à ce qui en a découlé, n’a empiriquement aucun sens, et cet ouvrage a le mérite d’inciter au questionnement face à cette affirmation, notamment en formulant quelques comparaisons avec notre chauvine révolution.

Nous avons eu une Déclaration universelle des droits de l’Homme, et ce fut un beau moment dans notre Histoire, qui écartait de fait la Femme, mais un beau moment tout de même. Eh bien Lénine et Trotsky avaient eux aussi des velléités internationalistes. Pour eux, la révolution prolétarienne ne pouvait être qu’internationale, et la victoire de leur action en Russie ne devait être que le prologue de ce qui allait se passer dans toute l’Europe, puis ensuite dans le reste du monde. Leur objectif initial n’était pas de prendre le pouvoir dans leur pays pour le plaisir de le diriger eux-mêmes, mais bel et bien d’instaurer un nouvel ordre mondial, donc dans un sens universel, au profit des masses laborieuses et exploitées. N’oublions pas qu’à l’époque, nous sortions d’une révolution industrielle qui a grandement malmené, à l’échelle mondiale, les ouvriers et les paysans, c’est-à-dire l’immense majorité des peuples, et qui culmina dans un des conflits les plus violents que le monde ait connu.

Cette dimension internationaliste, et donc anti-nationale, est propre à Lénine et Trotsky. Staline n’a jamais partagé cette vision des choses, ce qui l’incitera d’ailleurs à chasser Trotsky et à le faire assassiner. Et si nous revenons simplement à l’année 1917, on constate que le rôle de Staline dans la révolution d’octobre a été très anecdotique. Les artisans de la victoire bolchevique sont bien Lénine et Trotsky, qui, du coup, se sont retrouvés à la tête d’un État arriéré sur le plan technologique, d’un peuple à majorité paysanne, à devoir faire face à une guerre civile, alimentée par – tenez-vous bien – les Français, les Britanniques et les Allemands, alors que ceux-ci se faisaient encore et toujours la guerre à l’Ouest !

Cela exposé, l’auteur met pertinemment en avant les bilans humains des révolutions française et russe. Selon ses calculs, le nombre de morts liés directement à ces révolutions (on met donc de côté les guerres civiles ainsi que la Première Guerre mondiale) est assez équivalent, aux alentours de 16 000, sauf que la Russie de 1917 est plus peuplée que la France de 1789. Proportionnellement, donc, nos Danton, Robespierre, Marat et bien d’autres – qui n’étaient pas des enfants de choeur – ont provoqué plus de morts que leurs Lénine et Trotsky.

Rassurez-vous, notre propos n’est pas de dire que ces derniers étaient, eux, des enfants de choeur, bien sûr que non, mais simplement de remettre leur action dans un contexte qui était alors extrêmement violent, et auquel ils ont dû s’adapter. Alors même qu’ils pensaient n’être que le fer de lance d’une révolution prolétaire internationale, ils ont dû faire face, avec les moyens arriérés d’une nation paysane, à une coalition étatique internationale, et se sont rapidement retrouvés isolés dans leurs propres frontières, qui réduisaient comme peau de chagrin.

Pour finir, c’est à un authentique révolutionnaire russe, Fedor Raskolnikov, que nous allons laisser le dernier mot de cet article, afin d’entériner encore plus le gouffre qui sépare le stalinisme du communisme, et afin de compléter l’analyse de Marcel Liebman, au travers d’un extrait très évocateur d’une lettre ouverte adressée à Staline en 1939 : « Votre « socialisme », dans le triomphe duquel ses instaurateurs n’ont trouvé place que derrière les barreaux des prisons, est aussi éloigné du vrai socialisme que l’arbitraire de votre dictature personnelle l’est de la dictature du prolétariat. […] Vous faites de la politique sans morale, de l’autorité sans loyauté, du socialisme sans amour pour l’homme. »

La révolution russe, de Marcel Liebman, est à votre disposition sur demande !