Le guide à Gallus : le Familistère de Guise.

Pour cette dixième étape du guide à Gallus, nous vous invitons à sortir de Paris pour aller à Guise, une ville riche en Histoire (notez bien le grand H !) située sur l’Oise, dans le nord de l’Aisne. À savoir avant d’y mettre les pieds : ça se prononce [ɡɥiz], c’est-à-dire qu’il faut bien séparer le u du i quand vous prononcez le nom de cette ville, comme si la première syllabe gui était formée en réalité de deux syllabes : gu et i. C’est important, car, même si aucun habitant ne vous lynchera pour ça, l’Histoire résonne encore à travers ce nom.

À l’origine, avant même qu’une ville apparaisse à cet endroit-là, existait un gué permettant de traverser l’Oise à pied, ou à dos d’animal. Il s’agissait donc du gué sur l’Oise, prononcé à l’époque « gué (articulez bien deux syllabes !) sur l’Ise » (mot qui signifie « l’impétueuse, la rapide »). Puis au fil du temps, ce gué sur l’Ise est devenu un village puis une ville dénommée Guise. Mais au XVIème siècle, le seigneur de cette contrée (élevée au rang de duché sous François Ier), Henri Ier de Guise, fait plus que participer activement aux guerres de religions qui ont ensanglantées la France, et notamment au massacre de la Saint-Barthélemy. Ultra-catholique, cette triste figure de notre Histoire, avait évidemment des partisans, que l’on nommait les guisards. Et c’est là que la différence de prononciation apparaît ! Le mot guisard, pour parler de ces partisans, se prononce en deux syllabes ; alors que le mot Guisard, pour parler des habitants de la ville (le gentilé, donc, de cette commune), se prononce tel qu’indiqué en début de cet article, c’est-à-dire en trois syllabes.

Et cette différence est restée : Guise en deux syllabes est une prononciation considérée comme noble, déconnectée de la réalité, faisant référence au tristement célèbre duc ultra-catholique ; Guise en trois syllabes est une prononciation adoptée par le peuple de cette ville, ses habitants, rappelant l’origine de ce mot.

Bref, cette mise en garde effectuée, c’est maintenant au XIXème siècle que nous vous emmenons, tout en restant à Guise. Jean-Baptiste André Godin, personnage bien moins connu qu’Henri Ier de Guise, était un chef d’entreprise communiste. Quoi, ça vous étonne ? Non non, il n’y a pas d’erreur : un chef d’entreprise communiste. Et cet homme, fils d’un artisan serrurier, va se bâtir une fortune qu’il ne cessera, sa vie durant, de consacrer à son grand projet : le Familistère.

Le Familistère est une utopie réalisée, trop peu connue et trop peu médiatisée à notre goût. Jean-Baptiste André Godin, adepte des idées socialistes de Charles Fourier, finit pas se lasser des théories irréalistes et des expériences ratées de ce dernier (dans lesquelles il perdra le tiers de sa fortune) et décide de construire, à partir de 1859, à côté de son usine à Guise, ce qu’il appellera le Familistère (mélange des mots famille et phalanstère), une utopie bien ancrée dans la réalité.

Ce qu’il souhaite, et ce pourquoi beaucoup de personnes – parmi lesquelles sa première femme ! – lui mettront des bâtons dans les roues, c’est créer un lieu dans lequel riches et pauvres pourront vivre ensemble dignement, avec accès à l’eau courante, lumière au gaz à tous les étages, vie en communauté, aération permanente des logements, etc.. Et là vous allez nous dire qu’il n’est pas le seul à avoir voulu créer ce genre de choses, car d’autres patrons d’entreprises l’ont fait aussi ! Eh bien non ! Il ne faut pas confondre ce qu’on appelle le paternalisme d’entreprise, dans lequel un patron considère ses employés comme ses enfants, avec le projet de Godin. Car ce dernier est allé beaucoup plus loin : petit à petit (ben oui, sa famille, notamment, a fait tout ce qu’elle a pu pour retarder la mise en application de ses plans), il a fait en sorte de transformer son entreprise en association (on parlerait aujourd’hui de coopérative) gérée par ses salariés.

Mais surtout ! il n’a rien voulu laisser au hasard, il a étudié au plus près les plans architecturaux des bâtiments qu’il construisait pour éviter de reproduire les mêmes erreurs que dans les corons : des bâtisses individuelles sombres n’incitant pas à la vie en communauté, à un ménage régulier, et n’étant pourvu d’aucun système de ventilation.

Ainsi, à Guise, vous pouvez visiter, à côté des usines Godin (desquelles sortent les célèbres cocottes en fonte du même nom), tout un ensemble de bâtiments, transformés aujourd’hui en musée, qui, pendant environ cent ans, ont été la preuve qu’une utopie peut devenir réalité : les trois « palais sociaux » dédiés au logement des salariés de l’usine, l’école (car Godin souhaitait que les enfants soient éduqués pour qu’ils puissent choisir leur avenir), le lavoir (avec tout ce qu’il y avait de technologie à l’époque pour réduire la pénibilité des tâches domestiques) et la piscine (car il fallait que tout le monde apprenne à nager du fait de la proximité de l’impétueuse et rapide Oise dans laquelle on pouvait se noyer), les commerces (café, restaurant, boucher, etc.), le théâtre (pour le divertissement), et les jardins (notamment potagers). Et tout cet ensemble architectural, usine comprise (mais non visitable) a bel et bien fini par être géré par une association de salariés créée par Jean-Baptiste André Godin.

C’est-à-dire que cet homme-là n’a pas souhaité léguer sa fortune à sa progéniture, mais l’a consacrée à la concrétisation d’une utopie qu’il a porté toute sa vie. Ce geste n’est pas que symbolique, il met très avant l’indécence de l’héritage familial qui, dans nos sociétés démocratiques d’aujourd’hui, perpétue une inégalité séculaire qui permet aux familles riches de le rester, voire de s’enrichir toujours plus à chaque génération. Thomas Piketty l’explique parfaitement dans son ouvrage Le capital au XXIème siècle.

Cette utopie a tenu un bon siècle, a survécu à son créateur pendant 80 ans, et a rendu les armes en 1968, assassinée par l’individualisme rampant et la société de consommation. Mais elle a existé ! Il s’agit bien là d’une expérience communiste réussie ! Et qui n’a strictement rien à voir avec ce qu’on appelle de manière abusive le communisme soviétique, qui n’a été rien de plus qu’un totalitarisme parmi d’autres.

Nous vous conseillons donc la visite guidée de ce Familistère, car elle est passionnante. Bien sûr, vous n’irez pas à Guise uniquement pour cette raison, car il y a aussi un château fort à visiter (celui construit par les fameux seigneurs de la ville), et une boutique associative, Les copains d’Thiérache – qui fera elle aussi l’objet d’une étape du guide à Gallus -, dans laquelle vous trouverez de savoureux produits bio du terroir. Puis, d’ici peu un ouvrage viendra enrichir la Gallusothèque : Solutions sociales, écrit par… Jean-Baptiste André Godin.

Ne désespérons pas : des solutions existent pour lutter contre le capitalisme et l’individualisme, et nous ne sommes pas les premiers à souhaiter les mettre en application. Inspirons-nous de nos ancêtres et appuyons-nous sur eux pour réinventer notre avenir !

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