Nouvel ouvrage dans la Gallusothèque : « L’empire immobile ou le choc des mondes » d’Alain Peyrefitte.
« Celui qui commande le commerce, commande la richesse du monde, donc le monde. » Cette phrase attribuée à Sir Walter Raleigh résume la pensée britannique à partir du XVIème siècle. Un nouveau continent a été découvert moins d’un siècle plus tôt, et cette découverte a dopé les initiatives maritimes et les échanges commerciaux.
Avec « L’empire immobile ou le choc des mondes », Alain Peyrefitte nous convie à suivre le cours d’une ambassade britannique envoyée en 1793 auprès de l’Empereur de la plus grande puissance de l’époque : la Chine.
L’objectif de cette mission diplomatique ? Arriver à faire en sorte que le pays ouvre son immense marché intérieur aux commerçants du Royaume-Uni. Car pour le moment, les britanniques sont férus des porcelaines et thés chinois ; mais les chinois, eux, dédaignent tout ce qui provient de l’étranger.
Malheureusement, les deux cultures sont si différentes l’une de l’autre, et si convaincues de leur supériorité par rapport à l’autre, que cette ambassade sera un échec, mais un échec qui aura des conséquences sidérantes et mondiales. Car, l’auteur le développe parfaitement bien dans cet ouvrage, Londres défend par-dessus tout « le droit sacro-saint à la liberté d’entreprendre et de commercer » ; et puisque ce droit n’aura pu s’exercer par la diplomatie, il le fera par la fameuse guerre de l’opium en 1839 qui va anéantir le vieil ordre chinois, plonger une partie du peuple dans une dépendance mortifère à la drogue, et ouvrir le plus grand marché du monde à la Couronne britannique. (Et, accessoirement, inspirer les autres puissances occidentales dans leur manière de gérer leurs colonies.)
Nous retrouvons là une chronique d’un certain capitalisme du désastre si bien dénoncé par Naomi Klein dans son livre intitulé « La stratégie du choc », sauf que celle-ci passe en revue l’histoire géopolitique de la seconde moitié du XXème siècle quand Alain Peyrefitte nous relate un épisode bien plus ancien, qui permet d’éclairer l’avènement d’un modèle de société individualiste et mercantile.
Alors le but n’est pas de prétendre que le peuple chinois vivait heureux sous la dynastie mandchoue de l’époque, ou que les libertés et l’égalité étaient les maîtres mots de ce pouvoir (ce n’était pas le cas) ; non, tout l’intérêt de ce travail historique est de mettre en avant le fait que la liberté d’entreprendre, égérie du capitalisme, est placée bien au dessus de toutes les autres libertés (individuelle, de la presse, d’expression, d’un peuple à se gouverner lui-même, etc.), et ce depuis fort longtemps. Et ça n’a pas changé aujourd’hui, bien au contraire.
Ce livre passionnant est le fruit d’un travail unique de recoupement d’archives chinoises et britanniques, qui rétablit, contre les versions officielles de chaque pays, une vérité qui n’avantage aucune des deux parties, trop imbues d’elles-mêmes pour se remettre en question. Il est assez amusant, d’ailleurs, d’apprendre que, pour les mandarins de l’époque, vivre du commerce de marchandises n’était vraiment pas considéré comme une activité noble ; alors même que, pour les sujets de Sa Majesté (comme Sir Walter Raleigh ci-dessus cité), il s’agissait – et il s’agit encore – du meilleur moyen de prospérer et de faire ainsi honneur à son rang.
Sur simple demande, nous vous prêtons ce livre, car c’est en lisant qu’on sera les mieux armés face à ça.